La politique de crise de l'UE est unifiée (interview)
Double interview de Pierre Delsaux (DG HERA) et Dirk Ramaekers (Chef de la Task Force COVID-19) sur le rôle de la Belgique en Europe, la lenteur des processus et la confiance des patients dans le RGPD
La pandémie de COVID-19 a montré que des actions coordonnées sont nécessaires pour répondre aux urgences sanitaires. Quel rôle l'Autorité européenne de préparation et de réaction aux urgences sanitaires (HERA) jouera-t-elle dans ce processus ?
Pierre Delsaux : "L'objectif de HERA est de prévenir, détecter et répondre rapidement aux urgences sanitaires. HERA est un outil commun et un centre de contrôle des missions pour les États membres et les institutions de l'UE afin de mieux préparer l'UE aux menaces sanitaires transfrontalières. D'une part, HERA anticipera les menaces et les crises sanitaires potentielles en recueillant des renseignements et en mettant en place la capacité de réaction nécessaire. En revanche, en cas d'urgence, HERA développera, produira et distribuera des médicaments, des vaccins et d'autres contre-mesures médicales, telles que des gants et des masques, qui ont souvent fait défaut lors de la phase initiale de la réponse au coronavirus.
HERA est donc un pilier essentiel de l'Union européenne de la santé et consiste en une nouvelle mission de préparation et de résilience en matière de santé à l'échelle de l'UE. Il comblera une lacune dans la réponse et la préparation de l'UE aux urgences sanitaires, parallèlement aux mandats renforcés de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)."
Dirk Ramaekers : "Le rôle de l'UE ne doit en effet pas être sous-estimé, surtout dans des situations sans précédent, comme nous l'avons vu lors de la récente crise sanitaire. Sans une stratégie européenne en matière d'achat et de production de vaccins, la lutte contre la pandémie aurait eu un aspect très différent. L'effet a finalement été positif, surtout pour les petits pays européens comme la Belgique.
Il reste cependant des points à travailler. Par exemple, si l'on considère les décisions autonomes prises par les États membres dans la mise en œuvre de la stratégie de vaccination, qui étaient régulièrement quelque peu contradictoires. Les choix qui s'écartent des autres pays n'ont pas un effet favorable sur la perception du grand public. Pourquoi un certain vaccin est-il administré au-delà de 50 ans dans certains pays alors que dans d'autres, ce choix n'est pas fait ? Il est également possible d'améliorer encore la coopération entre les différents organes consultatifs scientifiques et, outre une politique d'achat commune, je suis également partisan d'une stratégie de vaccination européenne mieux adaptée, fondée sur des analyses bénéfices-risques.
Pierre Delsaux est d'accord : "Le succès de l'HERA exige une coopération et une coordination étroite avec nos états membres, le Parlement européen, les agences de l'Union et les parties prenantes concernées telles que la science, la recherche et l'industrie. De nombreux collaborations sont déjà en cours."
Quel sera le rôle de la Belgique au sein d'HERA ? Existe-t-il un plan d'action et un calendrier pour la participation de notre pays ?
Dirk Ramaekers: "Il est difficile de prévoir aujourd'hui ce que l'avenir nous réserve en termes de crises sanitaires. Le Covid est toujours là, il y a la guerre en Ukraine et la variole du singe, une autre maladie infectieuse, a récemment fait son apparition. Nous vivons donc une période d'incertitude mais la Belgique a indéniablement une grande capacité à contribuer à HERA. L'interaction entre la science et l'industrie pharmaceutique que nous avons en Belgique est très importante, également dans un contexte international.
HERA est un triangle entre l'Europe, le monde scientifique et l'industrie médicale au sens large. L'interaction entre ces trois acteurs est clairement un atout pour la Belgique. Même si nous n'avons ni gaz ni pétrole, nous gagnons nos galons sur la masse intellectuelle.
Je considère donc que les atouts de notre pays sont le savoir-faire disponible, nos scientifiques, la bonne coopération au sein de l'écosystème et nos capacités, par exemple, en termes de médecins et d'hôpitaux pour mener des études cliniques. Nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers et nous devons veiller à renforcer et à maintenir le niveau de coopération, pour lequel il existe actuellement un grand intérêt, notamment dans le domaine de l'échange d'informations, tant au niveau belge que transfrontalier.
Pierre Delsaux : "La coopération est définitivement un mot clé. La coopération avec les États membres est un élément essentiel de l'HERA. Cette coopération est assurée principalement par le conseil d'administration de l'HERA, en période de préparation, et par le comité de crise de santé publique, en période de crise. Le conseil d'administration de l'HERA est l'organe central de l'administration de l'HERA et comprend des représentants de haut niveau des 27 États membres.
L'objectif est d'assurer la complémentarité entre l'action de l'UE et celle des États membres dans le domaine de la préparation et de la réaction aux crises sanitaires. Sans préjudice de leurs prérogatives institutionnelles, les États membres contribueront aux activités de l'HERA, notamment à la sélection des menaces prioritaires, à l'élaboration de l'agenda stratégique commun de recherche et à la mise en œuvre des activités de l'HERA afin d'éviter la fragmentation et les doubles emplois.
Outre le conseil d'administration de l'HERA, les États membres sont représentés à un niveau plus technique par les experts compétents au sein du forum consultatif de l'HERA. Le forum consultatif s'est réuni pour la première fois en avril 2022.
HERA a entamé une série de visites de pays et de cartographie des capacités nationales de préparation et de réponse. Nous espérons apprendre quels besoins et quelles lacunes ont été identifiés et comment HERA peut aider. Nous voulons également discuter et, si possible, aligner les différents efforts et investissements dans les domaines dont HERA est responsable."
Selon certains critiques, la compétence de l'UE dans le domaine de la santé publique se caractérise par des processus excessivement lents depuis des décennies. Comment répondriez-vous à cette critique ?
Pierre Delsaux : "La responsabilité première de la protection de la santé et en particulier des systèmes de santé incombe toujours aux États membres. Cependant, l'UE a un rôle important à jouer dans l'amélioration de la santé publique, la prévention et le contrôle des maladies, la réduction des sources de danger pour la santé humaine et l'harmonisation des stratégies sanitaires entre les États membres.
La politique de santé publique a récemment pris une place centrale dans l'élaboration des politiques européennes avec l'apparition de la pandémie de COVID-19 et la Commission européenne travaille à une Union européenne de la santé plus forte, dont l'HERA est l'un des piliers."
Dirk Ramaekers : "D'habitude, il est facile de critiquer. La critique de la lenteur est parfois justifiée, mais dans les situations de crise réelles, il est presque impossible de suivre des processus de participation démocratique approfondis. Je pense que HERA peut certainement contribuer à "passer à la vitesse supérieure". Nous constatons déjà des résultats dans le cas de la variole du singe, où le processus se déroule sans problème.
Ce n'est pas tant une critique qu'un constat, issu de la période d'évaluation des vaccins Covid : certains avis scientifiques de l'EMA étaient imprévisibles dans leur timing. La transparence de ces processus pourrait peut-être être améliorée. Je constate maintenant que cette question fait l'objet d'une attention accrue.
Certains processus prennent simplement du temps. Les tests d'efficacité et de sécurité des médicaments doivent également être effectués correctement, sinon le patient court un risque. Nous en venons ensuite à l'efficacité, où le caractère abordable joue un rôle majeur. Chaque État membre décide de rembourser ou non. Après 20 ans, une évaluation partagée du rapport coût-efficacité devrait être remise à l'ordre du jour. En particulier en période de crise, la base de l'évaluation des technologies médicales devrait être davantage exploitée au niveau de l'UE.
HERA a entamé une série de visites de pays et de cartographie des capacités nationales de préparation et de réponse. Nous espérons apprendre quels besoins et quelles lacunes ont été identifiés et comment HERA peut aider. Nous voulons également discuter et, si possible, aligner les différents efforts et investissements dans les domaines dont HERA est responsable."
Dans de nombreux pays, la fourniture de soins de santé reste une responsabilité non seulement nationale mais aussi régionale et le rôle du secteur privé varie. Quel niveau de subsidiarité considérez-vous comme approprié ? La politique de santé doit-elle rester largement nationale et locale, l'UE et l'OMS fixant des normes pour mesurer les résultats et la qualité des soins de santé, et pour identifier et diffuser les meilleures pratiques ?
Dirk Ramaekers : "C'est la question d'un million! Il n'y a pas de réponse univoque. D'une part, il y a beaucoup à faire au niveau de l'UE en cas de crise. En revanche, la mise en œuvre correcte d'interventions médicales, adaptées au contexte local, augmente les chances de succès. Même si nous critiquons parfois la complexité belge, avec des différences évidentes entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, être capable de tenir compte de ce contexte local peut avoir du sens. Il est particulièrement important d'évaluer si une mise en œuvre locale est réussie et améliore ainsi de manière mesurable la qualité des soins. "
Pierre Delsaux : "Nous sommes également conscients qu'il n'existe pas de solution unique au degré de subsidiarité, même au sein de l'UE. Nous sommes prêts à impliquer les parties prenantes concernées à tous les niveaux de gouvernement proposés par les États membres. Principalement en fonction de leur valeur ajoutée potentielle et de leur contribution à une meilleure préparation et protection des citoyens en général. "
Comment renforcer la confiance des patients dans les systèmes globaux ?
Pierre Delsaux : "Je pense que les citoyens reconnaîtront les efforts conjoints de la Commission et des États membres. Lorsque notre travail aboutira à des réponses plus nombreuses et mieux coordonnées, les citoyens nous feront confiance. Il est essentiel que nous expliquions clairement les avantages que nos propositions peuvent apporter et que nous démontrions la solidité du système mis en place.
La Commission européenne a récemment présenté un projet de règlement établissant un espace européen de données sur la santé. L'espace européen de données pour la santé est un autre pilier important de l'Union européenne forte pour la santé. Elle peut soutenir l'innovation dans le développement de contre-mesures médicales et faciliter la détection précoce de nouvelles maladies ou le suivi d'une menace sanitaire majeure. Il peut apporter une contribution utile à la préparation et à la réponse aux crises sanitaires."
Dirk Ramaekers : "Nous constatons que le RGPD fait partie de la nouvelle réalité, une initiative européenne d'ailleurs. Les données relatives à la santé sont avant tout une bénédiction. Nos concitoyens sont bien conscients que nous n'avons pas de solution pour tout en matière de soins de santé, mais ils veulent être clairement informés, surtout lorsqu'il s'agit d'instaurer la confiance. La transparence est essentielle à cet égard, tout comme la légitimité sociale.
La Belgique n'est peut-être pas actuellement le premier de la classe en Europe en matière de partage convivial des données médicales, mais cette continuité de l'information est importante. Et cela peut être fait en toute sécurité. Les fuites de données sur les patients sont assez limitées et, si elles se produisent, elles sont souvent liées à une négligence de la part des professionnels de la santé et non à des systèmes informatiques défaillants. Bien entendu, il est également important de protéger les données contre toute utilisation non autorisée à des fins commerciales. Ce sont les éléments de base sur lesquels nous travaillons. Nous devrions déjà former les enfants à l'utilisation et à la protection des données sensibles relatives à la santé afin de profiter encore davantage de l'échange de données, dans l'intérêt de la recherche scientifique et, en fin de compte, du patient."
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