En Belgique, les patients doivent souvent attendre un médicament innovant avec beaucoup d’incertitude
« Nous devons repenser la procédure de remboursement des nouveaux médicaments », estime l'économiste de la santé Philippe Van Wilder (ULB) dans son interview pour pharma.be. Cela nous permettrait d'avoir également un accès plus prévisible aux nouveaux médicaments prometteurs dans notre pays.
Selon l'indicateur WAIT (Waiting to Access Innovative Therapies), seuls 85 des 168 nouveaux médicaments approuvés par l'Agence européenne des médicaments (EMA) en 2021 sont remboursés en Belgique. L'accès aux médicaments innovants n'est-il pas assez rapide dans notre pays ?
Philippe Van Wilder: Il y a un problème, mais je doute qu'il soit exclusivement belge. Ces dernières années, toute une série de médicaments très prometteurs ont été mis sur le marché, notamment pour des maladies rares, mais aussi pour des affections plus courantes telles que le cancer ou les maladies cardiovasculaires. Il n'est pas rare que ces derniers doivent être utilisés en grande quantité et que leur prix soit beaucoup plus élevé que celui des médicaments existants. Cette combinaison pose un défi budgétaire particulier au gouvernement. Mais il faut être honnête : si, en Belgique, nous devons parfois attendre plus longtemps qu'ailleurs pour obtenir des médicaments innovants, le secteur pharmaceutique est en partie responsable.
Et comment ?
Nous constatons qu'un grand nombre de sociétés pharmaceutiques distribuent leurs produits innovants approuvés par l'EMA d'abord au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne et ensuite seulement dans les pays - y compris la Belgique - où les prix sont moins favorables. D'une part, parce qu'elles peuvent y obtenir des prix plus élevés et, d'autre part, parce que la procédure de remboursement y est généralement beaucoup plus rapide.
Le gouvernement belge agit peut-être en bon père de famille. Il essaie de maintenir le prix des nouveaux médicaments à un niveau peu élevé afin de maîtriser le budget global consacré aux médicaments ?
Il y a en effet quelque chose à dire sur le principe, mais je note que la mise en œuvre concrète de cette procédure de remboursement en Belgique pourrait être améliorée. L'UE oblige tous les États membres à se prononcer sur le remboursement d'un nouveau médicament approuvé dans un délai de 180 jours. Si ce n'est pas le cas, la demande de remboursement est de facto approuvée.
Que voyons-nous dans notre pays depuis plusieurs années ? Pour presque chaque nouveau médicament, la période de décision stipulée est prolongée d'une période pouvant aller jusqu'à 120 jours supplémentaires pour des négociations additionnelles, afin de parvenir à une convention dite confidentielle entre le gouvernement et l'entreprise. Par exemple, parce que la valeur ajoutée thérapeutique n'est pas encore suffisamment claire ou parce qu'il y a des questions sur le rapport coût-bénéfice auquel une entreprise pharmaceutique accorde la priorité. Mais faut-il vraiment procéder de la sorte pour l’ensemble des médicaments innovants ? Cette incertitude n'est-elle pas un moyen de faire pression sur l'impact budgétaire/le prix ? Il est tout aussi problématique qu'une telle convention confidentielle entre l’IAMI et une entreprise – un cadre de remboursement strictement conditionnel, en quelque sorte – échappe également à tout contrôle externe en termes de contenu.
Les conditions de remboursement sont-elles beaucoup plus strictes ici que dans d'autres pays ?
Notre pays est particulièrement moins prévisible. Dans le groupe de travail qui doit négocier une telle convention, il y a des représentants, entre autres, de l'INAMI et de l'entreprise concernée, mais aussi des mutualités, des représentants des ministres compétents et de pharma.be. Ce qui y est discuté et décidé reste totalement confidentiel. Il y a un manque total de transparence tant pour les patients et les citoyens que pour les autres entreprises impliquées. Si vous arrivez en tant que deuxième entreprise avec un nouveau médicament dans le même domaine d'indication, vous devez deviner les conditions de votre concurrent qui vous a précédé ; il y a asymétrie d'informations cruciales pour une négociation. Personne ne sait comment et pourquoi un médicament est remboursé ou non et quel est le raisonnement sous-jacent. Le principe de la directive sur la transparence – selon lequel une décision est prise sur la base de critères objectifs et vérifiables – ne peut pas être testé (Note : légalement, il peut l'être parce que de tels accords ne sont pas étiquetés comme une décision du ministre). Cela peut également ébranler la confiance des patients, qui peuvent alors estimer qu'ils n'ont pas accès aux meilleurs médicaments dans notre pays sans savoir pourquoi.
Le système des conventions est-il dépassé ? Faut-il modifier la procédure de remboursement des nouveaux médicaments ?
Je pense que oui. Plus de 90 % des nouveaux médicaments approuvés de manière centralisée par l'EMA passent par une telle convention. Ce système doit être réformé en profondeur. Il demande beaucoup d'énergie de la part des gouvernements et des entreprises, et quelle est son efficacité réelle sur le coût d'un médicament innovant ? A l'échelle où il est appliqué actuellement, l'écart moyen entre le prix officiel et le coût réel pour l'assurance maladie est de 40 % ; peut-on le faire au moment de l'introduction de l'innovation ?
Il convient de séparer le jugement sur la valeur thérapeutique ajoutée d'un nouveau médicament de la discussion sur le prix. Dans notre pays (mais aussi en France et aux Pays-Bas), les producteurs sont en quelque sorte encouragés à fixer la valeur ajoutée thérapeutique d'un nouveau médicament à un niveau aussi élevé que possible, car elle a un impact important sur la fixation du prix. À l'inverse, on a parfois l'impression que le gouvernement maintient délibérément la valeur ajoutée thérapeutique à un niveau bas pour des raisons purement budgétaires. Ce n'est pas une bonne chose. À long terme, nous devrions nous orienter vers un système graduel où plus la valeur ajoutée thérapeutique est élevée, plus le prix peut l'être. Je considère la mise en œuvre par l'UE de « l'évaluation clinique conjointe » à partir de 2025 comme une étape importante vers le découplage de la détermination de la valeur ajoutée thérapeutique et de la fixation du prix.
La morale de cette histoire est-elle que le système belge retarde la mise sur le marché de médicaments innovants, qui peuvent parfois sauver des vies ?
Notre système est à la fois plus lent et moins prévisible. Vous ne savez pas comment et pourquoi une décision particulière est prise, et vous ne pouvez donc pas l'améliorer. Il arrive que des erreurs soient commises, par exemple sur le plan purement méthodologique ou dans l'interprétation du matériel d'étude. Cela peut avoir des conséquences majeures sur la position de négociation et donc sur la décision ; les patients, en raison du manque de transparence, ne seront pas en mesure de voir par eux-mêmes. J'ai le sentiment que la situation dans d'autres pays d'Europe occidentale n'est pas moins critique, mais qu'elle repose sur une meilleure compréhension mutuelle et une plus grande confiance entre le secteur pharmaceutique et le gouvernement. D'une part, les gouvernements de ces pays tiennent davantage compte des risques et des coûts de développement auxquels sont confrontées les entreprises pharmaceutiques. D'autre part, ces entreprises doivent prendre davantage conscience de l'impact financier gigantesque que les médicaments innovants peuvent avoir sur le budget des soins de santé. En bref, il faut se considérer comme des partenaires, même si les rôles et les responsabilités de chacun sont clairement définis
En Belgique, nous devons séparer le jugement sur la valeur ajoutée thérapeutique d'un nouveau médicament de la discussion sur le prix.
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