Toucher aux droits de propriété intellectuelle est une voie dangereuse
En décembre 2020, la toute première personne a reçu le vaccin COVID-19. Depuis lors, les efforts de prévention ont été déployés à un rythme record pour maîtriser cette pandémie.
En septembre 2022, plus de deux tiers des personnes dans le monde avaient reçu au moins une dose de vaccin COVID-19.
Les leçons à tirer pour se préparer aux futures crises sanitaires
Grâce à cette prouesse d'innovation, des millions de vies ont pu être sauvées et nous pouvons parler d'une ère post-pandémique deux ans après l'épidémie de COVID-19. Nous commençons à mieux connaître le virus, nous disposons de vaccins pour mieux nous armer contre lui, et la recherche de meilleurs moyens de traiter la corona bat son plein.
Cependant, nous devons rester vigilants, tant pour le COVID que pour les autres pandémies possibles qui nous guettent. Nous devons tirer les leçons de ce qui s'est passé ces deux dernières années afin d'être prêts à faire face aux futures crises sanitaires.
L'un des points douloureux mis en évidence lors de cette pandémie est que les crises provoquent le réflexe de se replier sur soi. Nous avons constaté un nationalisme en matière de vaccins et une inégalité d'accès aux vaccins entre les pays à revenu élevé et ceux à faible revenu. Cette situation doit être améliorée : nous devons intégrer l'égalité d'accès à la prévention et au traitement dans notre préparation et notre réponse futures aux pandémies.
TRIPS waiver
Au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en octobre 2020, à l'initiative de l'Afrique du Sud et de l'Inde (qui ne sont pas par hasard des pays qui tentent de développer leurs propres industries pharmaceutiques), le problème de l'inégalité d'accès aux vaccins a été saisi pour lancer une proposition appelée "TRIPS waiver". Cette proposition permettrait aux règles relatives aux droits de propriété intellectuelle (DPI) telles qu'elles figurent dans le traité TRIPS (1) de ne plus devoir s'appliquer aux traitements et aux vaccins contre la corona. Il a été présenté comme la solution pour résoudre la pénurie de vaccins. (2)
En fin de compte, il n'y a jamais eu de véritable renonciation. Cependant, un texte a été adopté au sein de l'OMC en juin 2022 qui permet aux vaccins COVID-19 d'appliquer beaucoup plus facilement les règles de l'accord ADPIC sur les licences obligatoires. En pratique, cela permet aux États membres de l'OMC de passer outre les brevets pour un vaccin COVID-19 dans certaines circonstances.
Mais cela ne s'arrête pas là : actuellement, il y a une proposition sur la table pour étendre davantage cette décision de juin 2022 aux médicaments et aux diagnostics pour le traitement de la corona.
Ces décisions constituent un dangereux précédent. Ils signalent que les brevets empêcheraient l'égalité d'accès aux vaccins et aux médicaments. Ce n'est pas vrai. Les brevets n'ont pas joué un rôle significatif dans l'inégalité d'accès aux vaccins, d'autres éléments l'ont fait. Les brevets ont joué un rôle clé dans l'obtention des vaccins dont nous disposons aujourd'hui. Et pourtant, avec le débat sur la dérogation ADPIC pour les vaccins et son éventuelle extension aux traitements et aux diagnostics, nous assistons à la plus grande attaque contre la protection de la propriété intellectuelle depuis le débat sur le VIH/SIDA il y a plus de 20 ans.
Cela montre l'incompréhension fondamentale sous-jacente du rôle des DPI.
La propriété intellectuelle est primordiale
La propriété intellectuelle favorise l'innovation : elle encourage les chercheurs et les entreprises à développer de nouveaux médicaments.
Les DPI font que cela vaut la peine de prendre des risques, d'engager des coûts et d'investir du temps dans ce développement. De cette manière, elle alimente un écosystème d'innovation qui aide les universités, les petites entreprises de biotechnologie et les sociétés pharmaceutiques à réaliser des percées. Dans un secteur comme celui de l'industrie pharmaceutique innovante, c'est vital. Un cadre de propriété intellectuelle solide est le fondement de notre industrie axée sur la recherche pour développer des produits qui peuvent traiter, voire guérir, les patients.
Les conséquences d'une renonciation aux DPI
Le danger latent de la proposition actuellement sur la table réside dans la remise en cause de ce fondement. Cela hypothéquerait à long terme notre capacité collective à disposer d'un nombre suffisant d'innovations dans le pipeline, et à court terme, cela ne changera rien à la mise à disposition des médicaments COVID-19.
Tout d'abord, les données montrent qu'il n'y a désormais aucun problème de disponibilité des médicaments COVID-19. La production dépasse la demande. Ce faisant, les pays à faibles et moyens revenus bénéficieront d'un accès égal à ces médicaments : 140 accords de licence volontaire avec des sociétés de génériques ont été signés pour les médicaments COVID-19, et des systèmes de prix différenciés ont été mis en place afin que les pays à faibles et moyens revenus ne soient facturés qu'au prix coûtant. Cela signifie que 99,9% de l'Afrique et 100,0% de l'Asie du Sud ont actuellement accès aux médicaments.
Alors pourquoi serait-il opportun d'adopter une mesure qui utilise l'innovation comme monnaie d'échange ? Cela pourrait s'avérer très préjudiciable.
En effet, une telle dérogation met en péril le pipeline des futurs traitements du COVID-19 : 37 traitements - soit seulement 2,0 % des traitements du COVID-19 en développement - ont été approuvés à ce jour. Ainsi, la plupart des traitements sont encore en phase de développement ; 75% de ces investissements sont financés par le secteur privé, pour qui la propriété intellectuelle est indispensable pour rentabiliser leur investissement.
En outre, cela affectera plusieurs domaines thérapeutiques et innovations sans rapport avec le COVID-19, car de nombreux médicaments développés pour le COVID-19 peuvent également être utilisés pour d'autres maladies.
Enfin, nous ne devons pas oublier que notre économie européenne dépend fortement du savoir-faire, de la technologie et de la créativité. Les DPI jouent un rôle crucial à cet égard. D'un point de vue commercial, notre force réside précisément dans les biens et services à valeur ajoutée intellectuelle. Une extension de la dérogation ADPIC portera particulièrement préjudice aux pays les plus actifs en matière de R&D et de fabrication au niveau mondial. L'impact se fera donc principalement sentir sur l'économie et la base d'innovation de l'UE - et par extension de la Belgique, et hypothèque notre résilience stratégique.
Nous devons tirer les leçons de ces deux dernières années. Un déploiement équitable des vaccins, des traitements et des diagnostics pour les futures pandémies est extrêmement important. C'est pourquoi notre industrie travaille sur des propositions visant à réserver une partie de la production de vaccins, de traitements et de diagnostics aux populations prioritaires. À mesure que le virus évolue, notre recherche doit également évoluer afin que nous puissions développer de nouvelles percées contre lui. Et cela ne peut se produire que si notre capacité à innover est garantie.
- L'accord sur les ADPIC est l'un des accords fondamentaux adoptés au sein de l'OMC qui prévoit un ensemble de règles minimales que les Etats membres de l'OMC doivent respecter en ce qui concerne divers droits de propriété intellectuelle tels que les brevets.
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